Idées
Les Coopératives d’activités et d’emploi : un exemple de construction d’une innovation sociale
Les coopératives d’activités et d’emploi (CAE) sont globalement méconnues. Depuis leur émergence voici treize ans, ces entreprises n’ont cessé d’évoluer, rendant difficilement appréhendable la démarche qui les sous-tend.
Quelle est l’activité d’une coopérative d’activités et d’emploi ? Cette question simple n’a jamais trouvé de réponse simple, consensuelle, pérenne.
Notre contribution tente d’aborder cet enjeu en proposant une approche des avatars successifs des CAE depuis leur création.
Sur la base de la mue en cours à Coopaname, CAE installée en Île- de-France, nous avançons l’idée qu’une troisième génération de coopératives d’activités et d’emploi voit actuellement le jour qui mènera ces dernières à devenir enfin ce qu’elles sont : une forme nouvelle de mutualité, dont l’objet est la protection mutuelle des parcours professionnels.

De la coopérative d’activités et d’emploi à la mutuelle de travail : produire du droit pour accompagner un projet politique d’économie sociale
L’histoire de l’économie sociale raconte avec constance que seules les innovations capables de produire du droit parviennent à défendre leur modèle ou tout au moins à en sauvegarder l’intégrité.
Cet exercice, les coopératives d’activités et d’emploi (CAE) ne l’ont globalement pas encore entamé.
En presque quinze ans d’existence, elles se sont appliquées à développer en leur sein des pratiques, des modes d’organisation ou de management, qu’aucune norme juridique n’est venu jusqu’ici formaliser.
Comment passer d’un faisceau de pratiques expérimentales à un corpus de règles positives, opposable aux tiers et mobilisable à des fins d’autorégulation ?
C’est cette question qui se pose aujourd’hui aux CAE, à l’occasion de la mise en place, dans les plus importantes d’entre elles, d’institutions représentatives du personnel et de nouvelles modalités de gouvernance.

Coopératives d'activité et d'emploi : des éléments de réponse de l'économie sociale au délitement du rapport salarial fordien
Dans cette communication, le développement des coopératives d’activités et d’emploi (CAE) est abordé comme une réponse de l’économie sociale à la transformation du rapport salarial fordien.
L’altération de ce modèle homogène a laissé la place à de multiples configurations, dans un contexte global d’individualisation du rapport au travail.
On assiste à la généralisation de la précarité des travailleurs, salariés ou indépendants, accentuée par la perte de leur pouvoir de négociation collective. Dans ce contexte, les CAE réinterrogent à la fois le modèle salarial et le modèle entrepreneurial.

La transmission au cœur de l’économie politique des coopératives
La crise du modèle de la valeur actionnariale et de son univers de marchés financiers supposés efficients, a relancé la question de la propriété de l’entreprise en lien avec sa finalité et le contrôle de ses décisions stratégiques. En particulier, l’idée d’une propriété de l’entreprise par les actionnaires a été remise en cause au motif que l’entreprise, OVNI juridique, n’est pas la société de capitaux que le droit définit comme une personne morale. Si les actionnaires sont seulement propriétaires de leurs actions, il convient alors de refonder l’entreprise (Hatchuel et Segrestin, 2012), d’interroger ses responsabilités sociales (Roger éd., 2012), voire de sortir de l’entreprise capitaliste (Bachet et alii, 2008) et, finalement, de se demander à qui appartient l’entreprise (Chassagnon et Hollandts, 2014).
Toutefois, le débat sur la propriété de l’entreprise s’avère complexe à arbitrer et, surtout, insuffisant à trancher la question de la primauté des actionnaires (Gosseries, 2012). Partageant avec Favereau et Robé (2012), la prémisse que ni l’entreprise ni la société ne sauraient en droit avoir de propriétaires, nous suivrons donc une autre piste pour aborder l’entreprise, non pas celle de ses propriétaires mais celle de ses agents de pouvoir exerçant ce dernier au nom de l’intérêt social de l’entreprise appréhendée dès lors comme une organisation politique.

Et si on réinventait le travail ?
Dessiner un avenir meilleur. Avec, en ligne de mire, l’espoir de retrouver un travail qui ne soit plus subi et qui redonne du sens à la vie.
Et la possibilité d’une carrière au cours de laquelle on puisse faire des pauses, bifurquer, sans craindre le chômage de longue durée.
Irréaliste ? Plus tant que ça. Ici et là s’inventent déjà des expériences – utopies concrètes diront certains – portées par la quête fragile d’une plus grande liberté.
C’est le cas des coopératives d’activités et d’emploi, dont la plus importante, Coopaname, regroupe plusieurs centaines de salariés […].

Un salariat sans subordination ?
Le salariat a longtemps été considéré comme la situation d’emploi la plus soumise, comme le soulignait Robert Castel. Dépossédé de ses outils (fin du travail à domicile) et de son métier (fin des corporations), l’ouvrier de la révolution industrielle n’avait que sa force de travail à vendre (et ses yeux pour pleurer). Cette situation de soumission n’a pas disparu et le contrat de travail reste une subordination.
C’est d’ailleurs ce point que relèvent les auto-entrepreneurs, affichant leur soif d’autonomie et d’indépendance. Mais ils en oublient que le salariat c’est aussi la régulation des rapports de force, via le code du travail, et une protection sociale de qualité conquise de haute lutte et gérée, depuis le milieu du XXe siècle (jusqu’à quand ?), par des organismes paritaires.
De fait, aujourd’hui, privés de ces protections sociales et juridiques, un certain nombre de nouveaux indépendants vivent objectivement des situations de soumission au moins comparables, si ce n’est parfois pires, à celles que l’on peut retrouver dans le monde du salariat subordonné.

Cit’in · Vers une transition ordinaire
Emmanuelle Besançon (Institut Godin / CRIISEA) Catherine Bodet (La Manufacture coopérative) Philippe Chemla (SCIC TETRIS) Nicolas Chochoy (Institut Godin / CRIISEA) Geneviève Fontaine (Institut Godin / SCIC TETRIS / GREDEG) Noémie de Grenier (Coopaname / La Manufacture coopérative) Thomas Lamarche (Université de Paris–Ladyss / La Manufacture coopérative) Jennifer Saniossian (Institut Godin / LEM)
> La suite sur le site de Cit’in

Rapport d'enquête sur les revenus et temps de travail Coopaname/Oxalis
Cette enquête se caractérise par une démarche de recherche-action, impliquant à la fois des acteur·trices et des chercheur·ses. Sur une proposition d’Antonella Corsani (socio-économiste, IDHES-Paris 1) et Marie-Christine Bureau (Cnam-Lise), une équipe s’est constituée incluant ponctuellement d’autres chercheurs (Sébastien Broca, Mathieu Rossignol-Brunet) ainsi que des membres de Coopaname et d’Oxalis.
On peut parler d’un véritable travail de co-construction à toutes les étapes de l’enquête, de la définition des objectifs à la production d’une synthèse en passant par l’analyse des données et l’élaboration du questionnaire.
Ce travail de recherche s’inscrit dans une perspective d’amélioration et de transformation des pratiques : dans ce cadre, le processus importe autant que les résultats.

Le modèle socio-économique des CAE
Partage de la démarche de recherche-action et des principaux enseignements du travail considérable mené par Justine Ballon, pour sa thèse sur le modèle-socio-économique des Coopératives d’Activités et d’Emploi.
Cette thèse a été en partie financée par Coopaname, dans le cadre d’une convention industrielle de formation par la recherche, avec l’Agence Nationale de la Recherche & de la Technologie
> Podcast : Le modèle socio-économique des CAE (Un podcast produit par la manufacture.coop)
Justine Ballon est associée de Coopaname et de Manucoop.
> À lire également : la thèse de Justine Ballon sur Hal, archives ouvertes
De la multifonctionnalité des Coopératives d’Activités et d’Emploi : des modèles socioproductifs expérimentaux dans les zones grises de l’emploi et du travail. Une recherche-action à propos d’Oxalis, Coopaname et Artenréel.

Cessons de créer des entreprises !
Inciter des individus, notamment s’ils sont privés d’emploi, à vouloir « se mettre à leur compte » est non seulement une posture constante de la part des politiques publiques depuis quinze ans, mais aussi une « évidence » unanimement reconnue, dont personne ne met en doute la pertinence économique.
Pourtant, aucune étude n’est venue vérifier son efficacité. À y regarder de plus près pourtant, la microscopisation de l’entrepreneuriat aboutit à une équation cruelle : micro-entreprise + micro-crédit = micro-revenu + micro-protection sociale.
Face à ce processus, des personnes tentent la construction d’un modèle alternatif : la mutuelle de travail.
Issue du mouvement des coopératives d’activités et d’emploi, la mutuelle de travail est une entreprise coopérative dans laquelle des professionnels se protègent mutuellement leurs parcours professionnels.
Au-delà, c’est une réflexion sur l’économie qui est mise en pratique : comment réinventer l’entreprise afin qu’elle soit un outil démocratique d’épanouissement, de socialisation, d’émancipation, au service des aspirations de chacun ?
