Idées

De la coopérative d’activités et d’emploi à la mutuelle de travail : produire du droit pour accompagner un projet politique d’économie sociale

L’histoire de l’économie sociale raconte avec constance que seules les innovations capables de produire du droit parviennent à défendre leur modèle ou tout au moins à en sauvegarder l’intégrité.

Cet exercice, les coopératives d’activités et d’emploi (CAE) ne l’ont globalement pas encore entamé.

En presque quinze ans d’existence, elles se sont appliquées à développer en leur sein des pratiques, des modes d’organisation ou de management, qu’aucune norme juridique n’est venu jusqu’ici formaliser.

 

Comment passer d’un faisceau de pratiques expérimentales à un corpus de règles positives, opposable aux tiers et mobilisable à des fins d’autorégulation ?

C’est cette question qui se pose aujourd’hui aux CAE, à l’occasion de la mise en place, dans les plus importantes d’entre elles, d’institutions représentatives du personnel et de nouvelles modalités de gouvernance.

Nathalie Delvolvé et Stéphane Veyer
Par Nathalie Delvolvé et Stéphane Veyer. Contribution publiée en juin 2009 dans les actes du Colloque « Entreprendre en économie sociale et solidaire : une question politique ? » – IXe Rencontres Internationales du RIUESS – Roannes
La première vocation de l’ESS n’est pas de suppléer l’Etat, mais de produire par elle-même du droit, des droits, et d’œuvrer à l’émancipation des individus. C’est cette ESS-là que nous défendons dans la manufacture coopérative.
Extrait de « L’ESS, cette chimère enfantée par la puissance publique », une tribune d'Anne-Laure Desgris et de Stéphane Veyer (la Manufacture coopérative), L'Humanité, janvier 2014

Coopératives d'activité et d'emploi : des éléments de réponse de l'économie sociale au délitement du rapport salarial fordien

Dans cette communication, le développement des coopératives d’activités et d’emploi (CAE) est abordé comme une réponse de l’économie sociale à la transformation du rapport salarial fordien.

 

L’altération de ce modèle homogène a laissé la place à de multiples configurations, dans un contexte global d’individualisation du rapport au travail.

On assiste à la généralisation de la précarité des travailleurs, salariés ou indépendants, accentuée par la perte de leur pouvoir de négociation collective. Dans ce contexte, les CAE réinterrogent à la fois le modèle salarial et le modèle entrepreneurial.

Catherine Bodet et Noémie de Grenier
Par Catherine Bodet et Noémie de grenier. Contribution publiée en juin 2011 dans les actes du colloque "L'ESS et le travail" - XIe Rencontres du RIUESS

La transmission au cœur de l’économie politique des coopératives

La crise du modèle de la valeur actionnariale et de son univers de marchés financiers supposés efficients, a relancé la question de la propriété de l’entreprise en lien avec sa finalité et le contrôle de ses décisions stratégiques. En particulier, l’idée d’une propriété de l’entreprise par les actionnaires a été remise en cause au motif que l’entreprise, OVNI juridique, n’est pas la société de capitaux que le droit définit comme une personne morale. Si les actionnaires sont seulement propriétaires de leurs actions, il convient alors de refonder l’entreprise (Hatchuel et Segrestin, 2012), d’interroger ses responsabilités sociales (Roger éd., 2012), voire de sortir de l’entreprise capitaliste (Bachet et alii, 2008) et, finalement, de se demander à qui appartient l’entreprise (Chassagnon et Hollandts, 2014).

Toutefois, le débat sur la propriété de l’entreprise s’avère complexe à arbitrer et, surtout, insuffisant à trancher la question de la primauté des actionnaires (Gosseries, 2012). Partageant avec Favereau et Robé (2012), la prémisse que ni l’entreprise ni la société ne sauraient en droit avoir de propriétaires, nous suivrons donc une autre piste pour aborder l’entreprise, non pas celle de ses propriétaires mais celle de ses agents de pouvoir exerçant ce dernier au nom de l’intérêt social de l’entreprise appréhendée dès lors comme une organisation politique.

Joseph Sangiorgio - Coopaname / Hervé Defalvard Erudite UPEM
Joseph Sangiorgio, Coopaname et Hervé Defalvard, Erudite UPEM. Ce texte a été présenté au Congrès de l’Afep, les 1, 2 et 3 juillet 2015, Lyon
« Ce que défendent les CAE au travers de l’idée de mutuelle de travail, ce n’est pas tant le salariat (qui n’est qu’un outil) que le tissu de solidarités sociales et professionnelles que 150 années de progrès social étaient parvenues à réguler, et que le capitalisme financier autant que l’Etat libéral contribuent à détricoter.
Extrait de Nathalie Delvolvé, Stéphane Veyer, « De la coopérative d’activités et d’emploi à la mutuelle de travail : produire du droit pour accompagner un projet politique d’économie sociale », juin 2009.

Un salariat sans subordination ?

Le salariat a longtemps été considéré comme la situation d’emploi la plus soumise, comme le soulignait Robert Castel. Dépossédé de ses outils (fin du travail à domicile) et de son métier (fin des corporations), l’ouvrier de la révolution industrielle n’avait que sa force de travail à vendre (et ses yeux pour pleurer). Cette situation de soumission n’a pas disparu et le contrat de travail reste une subordination.

C’est d’ailleurs ce point que relèvent les auto-entrepreneurs, affichant leur soif d’autonomie et d’indépendance. Mais ils en oublient que le salariat c’est aussi la régulation des rapports de force, via le code du travail, et une protection sociale de qualité conquise de haute lutte et gérée, depuis le milieu du XXe siècle (jusqu’à quand ?), par des organismes paritaires.

De fait, aujourd’hui, privés de ces protections sociales et juridiques, un certain nombre de nouveaux indépendants vivent objectivement des situations de soumission au moins comparables, si ce n’est parfois pires, à celles que l’on peut retrouver dans le monde du salariat subordonné.

Par Isabelle Nony & Noémie de Grenier [Coopaname]. Revue « Utopiques » n°10 « sur les chemins de l’émancipation, l’autogestion » - Mars 2019

Cit’in · Vers une transition ordinaire

Emmanuelle Besançon (Institut Godin / CRIISEA) Catherine Bodet (La Manufacture coopérative) Philippe Chemla (SCIC TETRIS) Nicolas Chochoy (Institut Godin / CRIISEA) Geneviève Fontaine (Institut Godin / SCIC TETRIS / GREDEG) Noémie de Grenier (Coopaname / La Manufacture coopérative) Thomas Lamarche (Université de Paris–Ladyss / La Manufacture coopérative) Jennifer Saniossian (Institut Godin / LEM)

Nous sommes partis du constat suivant : la citoyenneté économique, dans la réflexion sur la transition écologique et solidaire, est essentiellement abordée sous l’angle de la consommation responsable, alors que la réflexion sur les modes de travail, les formes d’entreprendre et de coopération et, plus largement, les modes d’organisation de la production est trop souvent manquante, aussi bien dans les initiatives que dans les recherches menées sur le sujet. Sur cette base, un consortium d’acteurs et d’institutions de recherche en lien avec l’ESS (Coopaname, Manucoop, SCIC Maison d’Economie Solidaire, SCIC TETRIS, Institut Godin, UMR LADYSS, UMR GREDEG), inscrits dans trois territoires (Beauvaisis, Pays de Grasse et Paris), ont formé le groupe TACITE- Travail Autonome, Coopérations et Innovation Sociale pour la Transition Ecologique - engagé depuis juin 2018 dans le programme Cit’in (https://www.cit-in.fr/). […]

> La suite sur le site de Cit’in

Cit’in · Vers une transition ordinaire - Couverture
Contacts : thomas.lamarche@u-paris.fr - recherche@scic-tetris.org - institutgodin@gmail.com
Citoyen•ne•s, nous n'acceptons pas que la démocratie s'arrête aux portes des entreprises. Professionnel•le•s, nous refusons que l'impératif de productivité et de rentabilité financière continue à primer sur la qualité de la production, des rapports sociaux dans l'entreprise, sur la déontologie, la pratique et la transmission de nos métiers et savoir-faire. Nous sommes de plus en plus nombreux et nombreuses à vouloir reprendre le contrôle de nos vies et de notre travail.
Extrait de « Négociations Unédic. Le travail n'est pas un coût, le chômage n'est pas un délit », tribune collective. Médiapart, février 2014

Rapport d'enquête sur les revenus et temps de travail Coopaname/Oxalis

A peine trois ans après le début des travaux, voici le rapport détaillé de l’enquête sur les revenus et temps de travail des coopérateurs·rices menée par Oxalis et Coopaname.

 

Cette enquête se caractérise par une démarche de recherche-action, impliquant à la fois des acteur·trices et des chercheur·ses. Sur une proposition d’Antonella Corsani (socio-économiste, IDHES-Paris 1) et Marie-Christine Bureau (Cnam-Lise), une équipe s’est constituée incluant ponctuellement d’autres chercheurs (Sébastien Broca, Mathieu Rossignol-Brunet) ainsi que des membres de Coopaname et d’Oxalis.

On peut parler d’un véritable travail de co-construction à toutes les étapes de l’enquête, de la définition des objectifs à la production d’une synthèse en passant par l’analyse des données et l’élaboration du questionnaire.

Ce travail de recherche s’inscrit dans une perspective d’amélioration et de transformation des pratiques : dans ce cadre, le processus importe autant que les résultats.  

Par Antonella Corsani (IDHES -Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), Marie-Christine Bureau (LISE-CNAM) et Mathieu Rossignol-Brunet

Le modèle socio-économique des CAE

Partage de la démarche de recherche-action et des principaux enseignements du travail considérable mené par Justine Ballon, pour sa thèse sur le modèle-socio-économique des Coopératives d’Activités et d’Emploi.

Cette thèse a été en partie financée par Coopaname, dans le cadre d’une convention industrielle de formation par la recherche, avec l’Agence Nationale de la Recherche & de la Technologie

> Podcast : Le modèle socio-économique des CAE (Un podcast produit par la manufacture.coop)

Justine Ballon est associée de Coopaname et de Manucoop.

> À lire également : la thèse de Justine Ballon sur Hal, archives ouvertes

De la multifonctionnalité des Coopératives d’Activités et d’Emploi : des modèles socioproductifs expérimentaux dans les zones grises de l’emploi et du travail. Une recherche-action à propos d’Oxalis, Coopaname et Artenréel.

Justine Ballon, Docteure en sciences économiques
Par Justine Ballon, Docteure en sciences économiques [membre associé du Ladyss]
Le coeur de notre savoir-faire consiste à construire une organisation sur des bases fondamentalement différentes de celles d’une entreprise classique. Une de ces bases est la confiance. C’est peut-être cela, le secret de l’affectio societatis des Coopanamien·nes. Tout le monde est tellement dubitatif à l’idée que la confiance puisse fonctionner dans le monde économique que lorsque c’est le cas, les gens ont à coeur de ne pas trahir cette confiance.
Extrait de Stéphane Veyer, Conférence/débat au Séminaire "Économie et sens" organisé par "Les amis de l'école de Paris" et le Collège des Bernardins, avril 2011

Cessons de créer des entreprises !

Inciter des individus, notamment s’ils sont privés d’emploi, à vouloir « se mettre à leur compte » est non seulement une posture constante de la part des politiques publiques depuis quinze ans, mais aussi une « évidence » unanimement reconnue, dont personne ne met en doute la pertinence économique.

Pourtant, aucune étude n’est venue vérifier son efficacité. À y regarder de plus près pourtant, la microscopisation de l’entrepreneuriat aboutit à une équation cruelle : micro-entreprise + micro-crédit = micro-revenu + micro-protection sociale.

Face à ce processus, des personnes tentent la construction d’un modèle alternatif : la mutuelle de travail.

Issue du mouvement des coopératives d’activités et d’emploi, la mutuelle de travail est une entreprise coopérative dans laquelle des professionnels se protègent mutuellement leurs parcours professionnels.

Au-delà, c’est une réflexion sur l’économie qui est mise en pratique : comment réinventer l’entreprise afin qu’elle soit un outil démocratique d’épanouissement, de socialisation, d’émancipation, au service des aspirations de chacun ?

Stéphane veyer
Par Stéphane Veyer. Publié en 2010 dans "Impertinences 2010, huit contributions pour penser et agir autrement" - Fondation Prospective et Innovation - Cercle des entrepreneurs du futur, La Documentation française

Pour une mutualité du travail

«Où est passé le travail ?» s’interroge Stéphane Veyer qui fait le constat que l’emploi et son corollaire, le chômage, l’ont sans doute étouffé.

Pourtant, l’économie sociale a beaucoup à gagner à réinvestir la question du travail, non pour créer des emplois, mais pour porter une vison émancipatrice du travail comme fondement d’un projet de société et faire naître un rapport au travail fondé sur ses valeurs : coopération, confiance, polyvalence, douceur…

C’est ce à quoi aspire une « mutuelle de travail associé ».

Auteur : Stéphane Veyer
Par Stéphane Veyer. Publié en juin 2014 dans La tribune Fonda n° 222