Idées

Les entrepreneurs associés ou comment repenser le travail

« Si vous n’avez pas d’emploi, créez-le ! », lançait Raymond Barre en 1979.

C’est sous la pression du chômage qu’un certain nombre de politiques d’incitation à la création d’entreprises ont été lancées.

 

De nombreux outils ont été mis en place pour aider ces entrepreneurs d’un nouveau genre, comme les boutiques de gestion ou le microcrédit, et de nombreuses mesures ont été prises pour simplifier les démarches : SARL à un euro, microentreprise, et aujourd’hui auto-entrepreneuriat.
Mais bien souvent, les chômeurs que l’on incite ainsi à créer leur propre entreprise sont envoyés “au casse-pipe”. Pour la plupart, ils ne disposent pas des réseaux, des compétences de gestion, de  l’expérience ni du capital qui leur permettraient de se lancer sans prendre trop de risques.

Paradoxalement, on demande à des personnes qui sont relativement éloignées de l’emploi de posséder d’emblée toutes les compétences nécessaires à la création et à la gestion d’une entreprise, que ce soit sur le plan de la comptabilité ou du management. Faire face à tous ces défis sans accompagnement est une gageure.

 

Stéphane Veyer
Par Stéphane Veyer. Conférence/débat donnée au Séminaire "Économie et sens" organisé par "Les amis de l'école de Paris" et le Collège des Bernardins, avril 2011

En 2012, le travail est resté féodal

«Peut-on continuer à se satisfaire d’un lien de subordination dont la protection du salarié n’est plus le corollaire ?

Peut-on continuer à voir ses millions de professionnels abîmés par des techniques dites modernes de management, ces sur-diplômés estropiés par la consigne imbécile, ces amoureux de la belle ouvrage mutilés par la création de valeur pour l’actionnaire ?

La réponse est sans conteste non.»

 

Ainsi conclut Stéphane Veyer dans cette tribune parue dans Libération, qui relève que «gagner en efficacité économique et créer à nouveau des emplois nécessite d’abord de changer le travail».

Et sur ce terrain, la solution coopérative à deux cents ans d’avance.

Par Stéphane Veyer. Tribune publiée le 13 juillet 2012 dans les pages rebonds du journal Libération.
Le coeur de notre savoir-faire consiste à construire une organisation sur des bases fondamentalement différentes de celles d’une entreprise classique. Une de ces bases est la confiance. C’est peut-être cela, le secret de l’affectio societatis des Coopanamien·nes. Tout le monde est tellement dubitatif à l’idée que la confiance puisse fonctionner dans le monde économique que lorsque c’est le cas, les gens ont à coeur de ne pas trahir cette confiance.
Extrait de Stéphane Veyer, Conférence/débat au Séminaire "Économie et sens" organisé par "Les amis de l'école de Paris" et le Collège des Bernardins, avril 2011

Négociations Unédic - Le travail n'est pas un coût, le chômage n'est pas un délit

 Les négociations entre les partenaires sociaux pour élaborer la convention Unédic 2014-2017 ont débuté le 17 janvier dernier. Encore une fois, il n’est question que de limiter le droit à l’assurance-chômage, sous quelque modalité que ce soit: dégressivité des aides, allongement de la durée de cotisation nécessaire à l’ouverture de droits, durcissement des critères de la «recherche active d’emploi», harmonisation par le bas en supprimant les annexes concernant les intérimaires et les intermittent.e.s du spectacle… Les chômeuses et les chômeurs sont considéré.e.s comme des «profiteurs du système», alors que les revenus du capital continuent d’augmenter, et que c’est la recherche effrénée de plus-values financières qui produit du chômage.

 

Nous, travailleur.se.s autonomes, co-entrepreneur.e.s de nos entreprises coopératives, artisan.e.s, paysan.ne.s, artistes et technicien.ne.s du spectacle… que nous soyons salarié.e.s, intermittent.e.s, indépendant.e.s, chômeur.se.s, nous sommes consterné.e.s de voir remis en cause ce droit essentiel.

 

Coopaname fût parmi les premiers signataire de cette tribune collective, avec, entre autres, Minga, Compagnie N.A.J.E, Esscoop, la Manufacture coopérative, Artenréel, les Matermittentes, SCOP Ozon, Lazzi Théâtre, Oxalis Scop, Vecteur Activités, ATTAC France, Solstice, Scic Smartfr, La Revue Eclair, Libre Informatique, Sud Culture Solidaires 34, Coordination des Intermittents et Précaires IdF, Scop276, Compagnie Jolie Môme, la Navette, La Tribouille, C Cédille, Odyssée Création, ktha compagnie, Recours Radiation, Naï No Production, Ekitour, Union Syndicale Solidaires, SIPMCS-CNT, La Famille Goldini, Evaléco, RESEAU Ecobâtir, Scop EMI-CFD, …

Tribune collective, diffusée le 27 février 2014

Faire société : le choix des coopératives

L’économie sociale et solidaire et les créations de coopératives sont en nette augmentation (2 165 à la fin 2013), même si cette forme d’entreprise reste confidentielle. Est-il si difficile de fabriquer de la coopération ? Comment transformer davantage d’entreprises en coopératives de travail ? 


Une démocratie se construit, lentement. Une coopérative aussi. Oxalis et Coopaname, coopératives ouvrières emblématiques du mouvement des coopératives d’activités, ont en partage une même façon de faire et d’être : une méthode, un regard sur le monde, un projet politique visant à établir une pédagogie coopérative. 
Cette « méthode », qui a pour but de mettre en relation des collectifs de travail, accompagne à présent massivement la construction d’initiatives coopératives. Et, dans une logique d’éducation populaire, les acteurs et actrices seront à tour à tour accompagné-es 
et accompagnant-es.


Et si nous imaginions alors de construire un réseau auto-alimenté d’apprentissage et d’accompagnement mutuel entre anciens, nouveaux et futurs coopérateurs et coopératrices ? C’est là l’objectif poursuivi par la Manufacture coopérative. 
Mais l’évolution vers la coopération implique l’émergence d’une culture spécifique qui fonderait une capacité collective à penser le rapport au pouvoir dans l’entreprise, le rapport au travail et la relation aux autres. Cet ouvrage collectif s’adresse à tous celles et ceux qui souhaitent travailler de manière radicalement différente, qui rêvent de se rassembler autour d’un projet commun qui a du sens. Bref, œuvrer ensemble pour faire société.


La Manufacture coopérative est une recherche-action initiée par les Scop Oxalis et Coopaname à laquelle est associé le laboratoire Ladyss. Elle s’engage sur la transformation de collectifs de travail en organisations coopératives, quelle que soit la dynamique de cette transformation : récupération, mutation ou reprise. 

Les auteurs : 
Anne Chonik Tardivel, Anne-Laure Desgris, Amandine Le Postec, Catherine Bodet, Céline Poret, Elsa Manghi, Grégoire Prudhon, Jean-Luc Chautagnat, Joseph Sangiorgio, Konstantinos Lambropoulos, Luc Mboumba, Mirta Vuotto, Marcelle Godefroid, Nadine Richez-Battesti, Noémie de Grenier, Olivier Hoeffel, Petia Koleva, Stéphane Veyer, Sylvie Muniglia, Thomas Lamarche, Yorgos Rizopoulos

 

Couverture du livre "Faire société : le choix des coopératives"
Collection "Idées coopératives" - Editions du Croquant
Et si on arrêtait de parler d’ubérisation ? Uber n’est jamais que le énième rejeton estampillé révolution numérique d’une longue lignée d’entreprises qui ont fait de la prédation de la valeur au service des actionnaires la seule finalité de l’agir économique.
Extrait de « Luttons pour la maîtrise démocratique du numérique », une tribune de Luc Mboumba, ex-codirecteur général de Coopaname. L'Humanité, mars 2016

Pour une économie sociale et solidaire de combat

Voilà, c’est fait. L’économie sociale et solidaire (ESS) voulait être « reconnue «, elle l’est. Elle souhaitait changer d’échelle : elle en aura les moyens. Les entrepreneurs sociaux voulaient qu’on leur fasse une place sur la photo de famille : ils sont au premier rang.

 

Dont acte : le projet de loi sur l’ESS présenté par Benoît Hamon et voté par le Sénat a le mérite d’exister et de proposer des dispositions qui faciliteront la vie des entreprises du secteur.

 

Il suffirait donc à présent de se fondre dans le cadre institutionnel tracé par la puissance publique et d’y faire prospérer nos entreprises d’ESS en bons développeurs. Mais est-ce bien là ce que nous avions à revendiquer ?

Emmanuel Antoine et Stéphane Veyer
Par Emmanuel Antoine (président de Minga) et Stéphane Veyer (co-directeur général de Coopaname),. Le Monde, novembre 2013

L'ESS, cette chimère enfantée par la puissance publique

La question du périmètre de l’économie sociale et solidaire est depuis vingt ans une tarte à la crème que l’on aime resservir.

 

Le jeu du qui est in, qui est out, en même temps qu’il nourrit les quêtes identitaires, fournit nombre d’énigmes insolubles et amusantes : pourquoi les comités d’entreprises ne sont-ils jamais cités comme parties prenantes de l’ESS ? Pourquoi Henry Ford ou Edouard Leclerc ne sont-ils pas considérés comme des entrepreneurs sociaux ? Etc. […]

 

Faisons preuve de malice : si l’ESS existe, n’est-ce pas justement pour refouler la question de l’idéologie, du projet politique qui devrait normalement se loger au cœur de toute initiative associative, coopérative ou mutualiste ? Sous l’étiquette ESS, tout devient tellement plus humaniste, moins subversif, moins radical.

 

Anne-Laure Desgris et Stéphane Veyer
Par Anne-Laure Desgris et Stéphane Veyer pour la Manufacture coopérative. Tribune parue dans l'Humanité en janvier 2014
La première vocation de l’ESS n’est pas de suppléer l’Etat, mais de produire par elle-même du droit, des droits, et d’œuvrer à l’émancipation des individus. C’est cette ESS-là que nous défendons dans la manufacture coopérative.
Extrait de « L’ESS, cette chimère enfantée par la puissance publique », une tribune d'Anne-Laure Desgris et de Stéphane Veyer (la Manufacture coopérative), L'Humanité, janvier 2014

Et si on réinventait le travail ?

Dessiner un avenir meilleur. Avec, en ligne de mire, l’espoir de retrouver un travail qui ne soit plus subi et qui redonne du sens à la vie.

Et la possibilité d’une carrière au cours de laquelle on puisse faire des pauses, bifurquer, sans craindre le chômage de longue durée.

 

Irréaliste ? Plus tant que ça. Ici et là s’inventent déjà des expériences – utopies concrètes diront certains – portées par la quête fragile d’une plus grande liberté.

C’est le cas des coopératives d’activités et d’emploi, dont la plus importante, Coopaname, regroupe plusieurs centaines de salariés […].

Logo Télérama
Par Marion Rousset (Journaliste). Télérama du 11 février 2015

Un salariat sans subordination ?

Le salariat a longtemps été considéré comme la situation d’emploi la plus soumise, comme le soulignait Robert Castel. Dépossédé de ses outils (fin du travail à domicile) et de son métier (fin des corporations), l’ouvrier de la révolution industrielle n’avait que sa force de travail à vendre (et ses yeux pour pleurer). Cette situation de soumission n’a pas disparu et le contrat de travail reste une subordination.

C’est d’ailleurs ce point que relèvent les auto-entrepreneurs, affichant leur soif d’autonomie et d’indépendance. Mais ils en oublient que le salariat c’est aussi la régulation des rapports de force, via le code du travail, et une protection sociale de qualité conquise de haute lutte et gérée, depuis le milieu du XXe siècle (jusqu’à quand ?), par des organismes paritaires.

De fait, aujourd’hui, privés de ces protections sociales et juridiques, un certain nombre de nouveaux indépendants vivent objectivement des situations de soumission au moins comparables, si ce n’est parfois pires, à celles que l’on peut retrouver dans le monde du salariat subordonné.

Par Isabelle Nony & Noémie de Grenier [Coopaname]. Revue « Utopiques » n°10 « sur les chemins de l’émancipation, l’autogestion » - Mars 2019
Au-delà de la construction et de la vigilance apportée à la démocratie, Coopaname doit continuer à se soucier du contexte dans lequel elle évolue… et y porter toujours plus intensément sa voix coopérative, pour un salariat sans subordination !
Extrait de « Un salariat sans subordination ? », un article d'Isabelle Nony & Noémie de Grenier [Coopaname] paru dans la revue « Utopiques » n°10 en mars 2019

Cessons de créer des entreprises !

Inciter des individus, notamment s’ils sont privés d’emploi, à vouloir « se mettre à leur compte » est non seulement une posture constante de la part des politiques publiques depuis quinze ans, mais aussi une « évidence » unanimement reconnue, dont personne ne met en doute la pertinence économique.

Pourtant, aucune étude n’est venue vérifier son efficacité. À y regarder de plus près pourtant, la microscopisation de l’entrepreneuriat aboutit à une équation cruelle : micro-entreprise + micro-crédit = micro-revenu + micro-protection sociale.

Face à ce processus, des personnes tentent la construction d’un modèle alternatif : la mutuelle de travail.

Issue du mouvement des coopératives d’activités et d’emploi, la mutuelle de travail est une entreprise coopérative dans laquelle des professionnels se protègent mutuellement leurs parcours professionnels.

Au-delà, c’est une réflexion sur l’économie qui est mise en pratique : comment réinventer l’entreprise afin qu’elle soit un outil démocratique d’épanouissement, de socialisation, d’émancipation, au service des aspirations de chacun ?

Stéphane veyer
Par Stéphane Veyer. Publié en 2010 dans "Impertinences 2010, huit contributions pour penser et agir autrement" - Fondation Prospective et Innovation - Cercle des entrepreneurs du futur, La Documentation française

Pour une mutualité du travail

«Où est passé le travail ?» s’interroge Stéphane Veyer qui fait le constat que l’emploi et son corollaire, le chômage, l’ont sans doute étouffé.

Pourtant, l’économie sociale a beaucoup à gagner à réinvestir la question du travail, non pour créer des emplois, mais pour porter une vison émancipatrice du travail comme fondement d’un projet de société et faire naître un rapport au travail fondé sur ses valeurs : coopération, confiance, polyvalence, douceur…

C’est ce à quoi aspire une « mutuelle de travail associé ».

Auteur : Stéphane Veyer
Par Stéphane Veyer. Publié en juin 2014 dans La tribune Fonda n° 222