Idées

Coopaname se revendique de la mutuelle de travail. La notion de mutualité repose sur un principe de protection réciproque contre les risques. Souscrire une mutuelle d’assurance revient à être assuré par les autres tout en étant leur assureur. Cette notion s’est cantonnée jusqu’ici au monde de la prévention mais on pourrait imaginer une “mutuelle de travail”, c’est-à-dire un dispositif dans lequel les personnes protègeraient mutuellement leur parcours professionnel.
Extrait de Stéphane Veyer, « Coopaname : les entrepreneurs associés, ou comment repenser le travail », Séminaire économie et sens, 28 avril 2011

Les entrepreneurs associés ou comment repenser le travail

« Si vous n’avez pas d’emploi, créez-le ! », lançait Raymond Barre en 1979.

C’est sous la pression du chômage qu’un certain nombre de politiques d’incitation à la création d’entreprises ont été lancées.

 

De nombreux outils ont été mis en place pour aider ces entrepreneurs d’un nouveau genre, comme les boutiques de gestion ou le microcrédit, et de nombreuses mesures ont été prises pour simplifier les démarches : SARL à un euro, microentreprise, et aujourd’hui auto-entrepreneuriat.
Mais bien souvent, les chômeurs que l’on incite ainsi à créer leur propre entreprise sont envoyés “au casse-pipe”. Pour la plupart, ils ne disposent pas des réseaux, des compétences de gestion, de  l’expérience ni du capital qui leur permettraient de se lancer sans prendre trop de risques.

Paradoxalement, on demande à des personnes qui sont relativement éloignées de l’emploi de posséder d’emblée toutes les compétences nécessaires à la création et à la gestion d’une entreprise, que ce soit sur le plan de la comptabilité ou du management. Faire face à tous ces défis sans accompagnement est une gageure.

 

Stéphane Veyer
Par Stéphane Veyer. Conférence/débat donnée au Séminaire "Économie et sens" organisé par "Les amis de l'école de Paris" et le Collège des Bernardins, avril 2011

En 2012, le travail est resté féodal

«Peut-on continuer à se satisfaire d’un lien de subordination dont la protection du salarié n’est plus le corollaire ?

Peut-on continuer à voir ses millions de professionnels abîmés par des techniques dites modernes de management, ces sur-diplômés estropiés par la consigne imbécile, ces amoureux de la belle ouvrage mutilés par la création de valeur pour l’actionnaire ?

La réponse est sans conteste non.»

 

Ainsi conclut Stéphane Veyer dans cette tribune parue dans Libération, qui relève que «gagner en efficacité économique et créer à nouveau des emplois nécessite d’abord de changer le travail».

Et sur ce terrain, la solution coopérative à deux cents ans d’avance.

Par Stéphane Veyer. Tribune publiée le 13 juillet 2012 dans les pages rebonds du journal Libération.
Citoyen•ne•s, nous n'acceptons pas que la démocratie s'arrête aux portes des entreprises. Professionnel•le•s, nous refusons que l'impératif de productivité et de rentabilité financière continue à primer sur la qualité de la production, des rapports sociaux dans l'entreprise, sur la déontologie, la pratique et la transmission de nos métiers et savoir-faire. Nous sommes de plus en plus nombreux et nombreuses à vouloir reprendre le contrôle de nos vies et de notre travail.
Extrait de « Négociations Unédic. Le travail n'est pas un coût, le chômage n'est pas un délit », tribune collective. Médiapart, février 2014

Négociations Unédic - Le travail n'est pas un coût, le chômage n'est pas un délit

 Les négociations entre les partenaires sociaux pour élaborer la convention Unédic 2014-2017 ont débuté le 17 janvier dernier. Encore une fois, il n’est question que de limiter le droit à l’assurance-chômage, sous quelque modalité que ce soit: dégressivité des aides, allongement de la durée de cotisation nécessaire à l’ouverture de droits, durcissement des critères de la «recherche active d’emploi», harmonisation par le bas en supprimant les annexes concernant les intérimaires et les intermittent.e.s du spectacle… Les chômeuses et les chômeurs sont considéré.e.s comme des «profiteurs du système», alors que les revenus du capital continuent d’augmenter, et que c’est la recherche effrénée de plus-values financières qui produit du chômage.

 

Nous, travailleur.se.s autonomes, co-entrepreneur.e.s de nos entreprises coopératives, artisan.e.s, paysan.ne.s, artistes et technicien.ne.s du spectacle… que nous soyons salarié.e.s, intermittent.e.s, indépendant.e.s, chômeur.se.s, nous sommes consterné.e.s de voir remis en cause ce droit essentiel.

 

Coopaname fût parmi les premiers signataire de cette tribune collective, avec, entre autres, Minga, Compagnie N.A.J.E, Esscoop, la Manufacture coopérative, Artenréel, les Matermittentes, SCOP Ozon, Lazzi Théâtre, Oxalis Scop, Vecteur Activités, ATTAC France, Solstice, Scic Smartfr, La Revue Eclair, Libre Informatique, Sud Culture Solidaires 34, Coordination des Intermittents et Précaires IdF, Scop276, Compagnie Jolie Môme, la Navette, La Tribouille, C Cédille, Odyssée Création, ktha compagnie, Recours Radiation, Naï No Production, Ekitour, Union Syndicale Solidaires, SIPMCS-CNT, La Famille Goldini, Evaléco, RESEAU Ecobâtir, Scop EMI-CFD, …

Tribune collective, diffusée le 27 février 2014

Pour une économie sociale et solidaire de combat

Voilà, c’est fait. L’économie sociale et solidaire (ESS) voulait être « reconnue «, elle l’est. Elle souhaitait changer d’échelle : elle en aura les moyens. Les entrepreneurs sociaux voulaient qu’on leur fasse une place sur la photo de famille : ils sont au premier rang.

 

Dont acte : le projet de loi sur l’ESS présenté par Benoît Hamon et voté par le Sénat a le mérite d’exister et de proposer des dispositions qui faciliteront la vie des entreprises du secteur.

 

Il suffirait donc à présent de se fondre dans le cadre institutionnel tracé par la puissance publique et d’y faire prospérer nos entreprises d’ESS en bons développeurs. Mais est-ce bien là ce que nous avions à revendiquer ?

Emmanuel Antoine et Stéphane Veyer
Par Emmanuel Antoine (président de Minga) et Stéphane Veyer (co-directeur général de Coopaname),. Le Monde, novembre 2013
Et si on arrêtait de parler d’ubérisation ? Uber n’est jamais que le énième rejeton estampillé révolution numérique d’une longue lignée d’entreprises qui ont fait de la prédation de la valeur au service des actionnaires la seule finalité de l’agir économique.
Extrait de « Luttons pour la maîtrise démocratique du numérique », une tribune de Luc Mboumba, ex-codirecteur général de Coopaname. L'Humanité, mars 2016

L'ESS, cette chimère enfantée par la puissance publique

La question du périmètre de l’économie sociale et solidaire est depuis vingt ans une tarte à la crème que l’on aime resservir.

 

Le jeu du qui est in, qui est out, en même temps qu’il nourrit les quêtes identitaires, fournit nombre d’énigmes insolubles et amusantes : pourquoi les comités d’entreprises ne sont-ils jamais cités comme parties prenantes de l’ESS ? Pourquoi Henry Ford ou Edouard Leclerc ne sont-ils pas considérés comme des entrepreneurs sociaux ? Etc. […]

 

Faisons preuve de malice : si l’ESS existe, n’est-ce pas justement pour refouler la question de l’idéologie, du projet politique qui devrait normalement se loger au cœur de toute initiative associative, coopérative ou mutualiste ? Sous l’étiquette ESS, tout devient tellement plus humaniste, moins subversif, moins radical.

 

Anne-Laure Desgris et Stéphane Veyer
Par Anne-Laure Desgris et Stéphane Veyer pour la Manufacture coopérative. Tribune parue dans l'Humanité en janvier 2014

Un salariat sans subordination ?

Le salariat a longtemps été considéré comme la situation d’emploi la plus soumise, comme le soulignait Robert Castel. Dépossédé de ses outils (fin du travail à domicile) et de son métier (fin des corporations), l’ouvrier de la révolution industrielle n’avait que sa force de travail à vendre (et ses yeux pour pleurer). Cette situation de soumission n’a pas disparu et le contrat de travail reste une subordination.

C’est d’ailleurs ce point que relèvent les auto-entrepreneurs, affichant leur soif d’autonomie et d’indépendance. Mais ils en oublient que le salariat c’est aussi la régulation des rapports de force, via le code du travail, et une protection sociale de qualité conquise de haute lutte et gérée, depuis le milieu du XXe siècle (jusqu’à quand ?), par des organismes paritaires.

De fait, aujourd’hui, privés de ces protections sociales et juridiques, un certain nombre de nouveaux indépendants vivent objectivement des situations de soumission au moins comparables, si ce n’est parfois pires, à celles que l’on peut retrouver dans le monde du salariat subordonné.

Par Isabelle Nony & Noémie de Grenier [Coopaname]. Revue « Utopiques » n°10 « sur les chemins de l’émancipation, l’autogestion » - Mars 2019
« Ce que défendent les CAE au travers de l’idée de mutuelle de travail, ce n’est pas tant le salariat (qui n’est qu’un outil) que le tissu de solidarités sociales et professionnelles que 150 années de progrès social étaient parvenues à réguler, et que le capitalisme financier autant que l’Etat libéral contribuent à détricoter.
Extrait de Nathalie Delvolvé, Stéphane Veyer, « De la coopérative d’activités et d’emploi à la mutuelle de travail : produire du droit pour accompagner un projet politique d’économie sociale », juin 2009.

Cessons de créer des entreprises !

Inciter des individus, notamment s’ils sont privés d’emploi, à vouloir « se mettre à leur compte » est non seulement une posture constante de la part des politiques publiques depuis quinze ans, mais aussi une « évidence » unanimement reconnue, dont personne ne met en doute la pertinence économique.

Pourtant, aucune étude n’est venue vérifier son efficacité. À y regarder de plus près pourtant, la microscopisation de l’entrepreneuriat aboutit à une équation cruelle : micro-entreprise + micro-crédit = micro-revenu + micro-protection sociale.

Face à ce processus, des personnes tentent la construction d’un modèle alternatif : la mutuelle de travail.

Issue du mouvement des coopératives d’activités et d’emploi, la mutuelle de travail est une entreprise coopérative dans laquelle des professionnels se protègent mutuellement leurs parcours professionnels.

Au-delà, c’est une réflexion sur l’économie qui est mise en pratique : comment réinventer l’entreprise afin qu’elle soit un outil démocratique d’épanouissement, de socialisation, d’émancipation, au service des aspirations de chacun ?

Stéphane veyer
Par Stéphane Veyer. Publié en 2010 dans "Impertinences 2010, huit contributions pour penser et agir autrement" - Fondation Prospective et Innovation - Cercle des entrepreneurs du futur, La Documentation française

Pour une mutualité du travail

«Où est passé le travail ?» s’interroge Stéphane Veyer qui fait le constat que l’emploi et son corollaire, le chômage, l’ont sans doute étouffé.

Pourtant, l’économie sociale a beaucoup à gagner à réinvestir la question du travail, non pour créer des emplois, mais pour porter une vison émancipatrice du travail comme fondement d’un projet de société et faire naître un rapport au travail fondé sur ses valeurs : coopération, confiance, polyvalence, douceur…

C’est ce à quoi aspire une « mutuelle de travail associé ».

Auteur : Stéphane Veyer
Par Stéphane Veyer. Publié en juin 2014 dans La tribune Fonda n° 222